dimanche 26 juillet 2015

L’élaboration du cognac : de la vigne à la bouche



Préliminaire : Le présent texte est une synthèse personnelle sur base des documents et livres  énumérés ci-après. Il semble évident que la lecture de livres et autres sources d’informations supplémentaires aurait probablement changé la présente synthèse dont le but est surtout d’acquérir une plus grande compréhension de l’élaboration du cognac. Il est certain que d’autres ouvrages traitent le sujet d’une manière beaucoup plus approfondie. Mais ceci n’est qu’un blog pour amateurs, pas nécessairement avertis, en quelque sorte un trigger (déclencheur) pour éveiller l’intérêt pour le cognac que je considère comme un produit noble à cause de la sophistication de son élaboration et son potentiel immense dû à de nombreux facteurs/paramètres pouvant intervenir dans son élaboration. Ce que je trouve personnellement désolant est le fait que le cognac soit devenu un peu un parent pauvre dans son propre pays. Il m’est arrivé de demander un cognac XO dans des restaurants (plus ou moins) gastronomiques français et le serveur m’a demandé « C’est quelle marque ? » (sic).


Les sources :

  • Christian Pessey : L’ABCdaire du cognac
  • ConstantinParvulesco : Le cognac, saveurs du terroir
  • Gilbert Delos : Le monde du cognac
  • Guide du musée des arts du cognac
  • Véronique Lemoine : Les arômes du cognac
  • Cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée « Cognac »
  • BNIC : « Le cognac, découverte pédagogique » et autres textes et documents.
  • Des recherches sur Internet selon les besoins du moment.
  • Cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlé « Cognac » ou « Eau-de-vie de Cognac » ou « Eau-de-vie des Charentes » (decret  n° 2015-10 du 7 janvier 2015).


Les étapes suivantes ont été retenues pour structurer le processus d’élaboration du cognac :

  • L’encépagement
  • La conduite du vignoble
  • L’élaboration du moût
  • La fermentation / vinification
  • La distillation
  • Les coupes
  • Le vieillissement
  • L’’assemblage 
  •  Le conditionnement commercial
 
L’encépagement

La base du cognac est l’eau-de-vie provenant de la distillation de vin blanc. Afin de donner un bon distillat apte au vieillissement, ces vins doivent être acides et présenter une teneur faible en alcool.
La charte prévoit 3 cépages principaux, l’ugni blanc, le colombard et la folle blanche.

Depuis la crise du phylloxéra en 1872 (puceron ravageur des vignes), un cépage s’est principalement imposé, fournissant plus de 90 % des raisins pour l’élaboration du cognac: l’ugni blanc. Ce cépage provient de l’Italie où il est nommé « trebbiano » d’Abruzzo ou de Romagna. Signalons à titre de curiosité que le cépage « saint-émillion » est une sous-espèce de l’ugni blanc. L’ugni blanc, d’origine méditerranéenne, est retardé dans son développement à cause des rigueurs du climat charentais et ne vient pratiquement jamais à maturité. L’ugni blanc est donc cueilli très vert. Cet inconvénient apparent est cependant son atout principal car il fait que l’acidité est élevée et donc avec une teneur en alcool faible.

Le colombard et la folle blanche, les deux autres cépages principaux, sont sensibles à la pourriture grise, le colombard cependant un peu moins que la folle blanche. Le colombard ne semble cependant plus avoir les qualités nécessaires pour les exigences aux cognacs d’aujourd’hui.  Par contre, la folle blanche donne des eaux-de-vie sans nulle pareille dans ses grandes années, ce qui fait qu’elle est toujours utilisée, même si elle ne couvre que peu de la superficie totale. La folle blanche était le principal cépage avant la crise du phylloxéra. « Folle blanche » fait référence à un cépage qui produit un vin très acide (folle) et très pâle (blanche). Son autre nom est « gros plant » et a son origine dans la grosseur des ceps ou de ses grands rendements.

Il y a d’autres cépages autorisés comme le sémillon et le montils. Le folignan est autorisé à titre d’appoint avec un maximum de 10 %.

La conduite du vignoble

Avant la crise du phylloxéra, les vignes étaient basses et ne suivaient pas un alignement. Actuellement, les vignobles présentent des vignes hautes alignées soutenues par des échalas. Cet  ordonnancement convient parfaitement à la mécanisation (80 %).

La conduite du vignoble doit respecter certaines dispositions. Ainsi, les vignes présentent une densité minimale de 2 200 pieds à l’hectare. L’écartement entre deux rangs de vignes peut être au maximum de 3,5 mètres. Les vignes doivent être taillées obligatoirement tous les ans. Le nombre d’yeux francs est limité à 80 000 yeux par hectare.

L’élaboration du moût (par pressurage)

Le pressurage des grappes est effectué immédiatement après la récolte, soit par des pressoirs horizontaux traditionnels à plateaux, soit par des pressoirs pneumatiques. Ceci est nécessaire pour éviter l’oxydation du raisin. Ce processus permet de séparer le moût de la peau et de la rafle. (La rafle ou la râpe est la charpente d'une grappe de raisin. Elle est faite de fibres, de tanins et de matières minérales. Elle est constituée d'une ramification principale, portant, selon les variétés de vigne, une aile, ramification secondaire. Le pédoncule relie la grappe au sarment au niveau du nœud. Des ramifications appelées pédicelles portent les grains de raisin, les baies. La rafle, par laquelle circule la sève, débouche dans la pulpe des baies par les faisceaux libéro-ligneux qui alimentent les raisins.



Selon le cahier des charges, l’utilisation de pompes centrifuges comportant une vis d’Archimède, dite presse continue, est interdite pour éviter que les extraits des pépins passent dans le vin. L’extraction du jus est progressive, ce qui fait que les quantités de bourbe (déchets solides  issus du pressurage du raisin) sont minimes et l’oxydation du moût (mixture obtenue après la pression destinée à la fermentation) est faible. La limitation de la bourbe et leur libération dans le moût pourrait augmenter le taux d’alcool dans les futures eaux-de-vie, entraînant ainsi une perte de finesse. Le jus obtenu est décanté par simple gravitation pour le débarrasser de la bourbe.


Pressoir horizontal à plateaux



Pressoir pneumatique


Description du BNIC :



« De conception plus moderne, le pressoir pneumatique à membrane permet d’extraire les moûts sous des pressions plus faibles et avec des émiettages plus doux que ceux d’un pressoir à plateaux équipé d’organes de rebêchages.

Les pressoirs pneumatiques peuvent disposer d’une membrane axiale ou latérale. À chargement équivalent, ces deux types d’appareils présentent des taux d’égouttage comparables.

Le remplissage d’un pressoir pneumatique peut être effectué directement au niveau des portes ou par l’intermédiaire d’une tuyauterie qui alimente le pressoir de façon axiale.

Il est possible d’aller plus loin dans l’optimisation du pressurage avec un pressoir pneumatique, en pilotant son cycle en fonction de la nature de la vendange et de l’écoulement des jus. »



Animation par images (toujours BNIC) :



Les  raisins sont posés sur la membrane par l’ouverture (soit en haut soit du côté).

 Fermeture des ouvertures. Par la rotation, la membrane passe vers le haut et le raisin vers le bas (image suivante)

 Par la pression pneumatique, la membrane est poussée vers le bas :




La fermentation / vinification

La fermentation du jus démarre aussitôt et dure environ 3 semaines Le taux d’alcool est d’environ 8% seulement, ce qui rend le vin obtenu propice à la distillation.

Pendant la période fermentaire, l’adjonction de sucre et d’anhydre sulfureux est interdite. Le produit reste ainsi naturel. Signalons que le soufre aurait aussi des effets  néfastes sur les alambics charentais en cuivre.

La fermentation se fait en 2 étapes successives : fermentation alcoolique et fermentation malolactique. 

La levure « Saccharomyces cerevisiae » assure la fermentation alcoolique qui dure entre 4 et 8 jours. Les sucres du moût sont transformés en éthanol. Au fur et à mesure que le sucre est transformé en alcool, la densité du moût diminue. Ce processus produit de la chaleur, permettant aux levures de se multiplier. La température ne doit pas dépasser 30 % pour ne pas gêner le travail des levures. La fermentation extrait les arômes dits primaires, contenus à faible dose dans les raisins. Les arômes primaires sont l'expression-type de la sorte de raisin utilisée pour faire le vin. Ainsi certains disent que l’ugni blanc génère des notes d’agrumes comme le citron, mais aussi des arômes du coing, tout en étant assez pauvre en arômes. D’autres pensent qu’il dégage des arômes de violette sinon des fragrances de géranium. La folle blanche aurait des arômes floraux (fleur blanche, aubépine…) et d’agrumes (dont le citron). Le colombard dégagerait plutôt des notes de citron vert, de pêche et de nectarine, sinon même des touches de pamplemousse.

 La fermentation produit aussi des composants volatiles qui sont le résultat de l’activité même des levures, rappelant les odeurs de la boulangerie. Ces composants seront concentrés lors de la distillation et génèreront des arômes nouveaux de l’eau-de-vie. On se situe maintenant déjà au niveau des arômes secondaires car ils n’étaient pas contenus dans le raisin. Les composants volatils sont constitués essentiellement par de multiples aldéhydes et esters qui génèrent ultérieurement ces arômes fruités et floraux.

La levure produit encore d’autres composés (alcools supérieurs, acétate d’éthyle, éthanal et autres) qui peuvent contribuer à l’équilibre des eaux-de-vie si certains seuils ne sont pas dépassés. Autrement la qualité des futures eaux-de-vie pourrait en pâtir.

La deuxième fermentation, malolactique (transformation de l’acide malique en acide lactique) n’est pas obligatoire, mais peut constituer un mécanisme régulateur de l’éthanal résiduel résultant de la fermentation alcoolique. L’encyclopédie du cognac (BNIC) donne les explications suivantes :

« La fermentation malolactique est assurée par des bactéries appartenant à l’espèce Oenococcus oeni (bactérie lactique). Ces bactéries présentes dans les moûts ne se développent, en principe, qu’une fois la fermentation alcoolique achevée. En effet, les cellules de levure commencent à mourir quand le sucre naturel est consommé. Mais c’était justement ces cellules qui produisent des éléments inhibiteurs pour les bactéries. Les cellules de levure mourantes produisent des éléments nutritifs permettant aux bactéries de proliférer.

Il est primordial que les étapes de fermentation alcoolique et malolactique ne se chevauchent pas. En effet, la multiplication prématurée des bactéries en présence de sucres non fermentés par les levures serait à l’origine de déviations qualitatives.

Là encore, la maîtrise des fermentations alcooliques, et donc du métabolisme des levures,
est décisive. »
La fermentation malolactique assure une plus grande stabilité au vin conservé en attendant la distillation car l’acide malique, principal substrat de nombreuses bactéries, est consommé.

La teneur en azote joue aussi un rôle important. BNIC : « Cependant, la pratique du levurage et le choix de telle ou telle souche de levure ne suffisent pas toujours à assurer un bon déroulement fermentaire. La teneur en azote des moûts joue ici un rôle prépondérant car c’est un facteur limitant du développement des levures. Si celles-ci se trouvent en situation de carence, la fermentation va être trop lente et les risques de piqûre lactique très importants. C’est pourquoi le vinificateur peut ajouter de l’azote dans les moûts carencés. Ces ajouts favorisent la multiplication des levures et par conséquent la vitesse de fermentation. D’un point de vue écologique, ils sont préférables à une fertilisation excessive de la vigne. »

Toujours, selon le BNIC : « D’autres facteurs influencent la production des composés volatils et, par
voie de conséquence, le profil aromatique des eaux de vie nouvelles. Parmi ces facteurs on peut citer :
● la présence plus ou moins importante de bourbes ;
● la température (une température maîtrisée d’environ 22°C donne plus d’esters aromatiques). »
Signalons encore que le stockage du vin permet de séparer la lie (par gravitation) du vin proprement dit. La lie désigne les levures mortes et éventuellement quelques résidus végétaux qui sédimentent au fond du contenant à l’issue de la fermentation. En effet, lors des 2 fermentations, des particules apparaissent dans le vin. Il s’agit de levures, de bactéries et de composés organiques floculés et précipités. Lors de la fermentation alcoolique, les levures meurent rapidement. Ces particules sont dégradées par des enzymes et diffusent dans le vin. Au fil du temps elles  sont piégées au fond de la cuve. Comme elles sont riches en matière organiques, elles peuvent constituer une source de pollution. Cette séparation peut avoir son importance car certains « bouilleurs » distillent le vin avec la lie, d’autres ne le font pas. Néanmoins, la lie a moins les coudées franches pour agir car la distillation du vin commence déjà en  novembre, donc en très peu de temps après la constitution du vin.

La distillation

Les raisons de la distillation
La qualité du futur cognac dépendra pour beaucoup (mais pas seulement) de la qualité du distillat de la double distillation charentaise.

La distillation a plusieurs objectifs.

Le premier consiste à obtenir le degré d’alcool du produit final : 40 degré au minimum, mais on trouve aussi des cognacs à 43 degrés. Certains cognacs très vieux peuvent avoir des degrés d’alcool inférieurs à 40 %, mais nécessitent des autorisations spéciales.

En effet, la situation de départ est la suivante :

  • Le vin au départ de la distillation titre aux environs de 8 % vol.
  • La première distillation (concentration de l’alcool par élimination de l’eau) permet d’obtenir un degré d’alcool aux environs de 27 % vol.
  • La deuxième distillation permet d’obtenir un degré d’alcool aux environs de 67 % vol.

Finalement, le vieillissement (voir plus loin), la phase suivante dans l’élaboration du cognac, permet de « descendre » au degré d’alcool du produit final de 40 degrés et plus, accompagné le plus souvent d’opérations de réduction (ajouts autorisés d’eau distillée ou déminéralisée, voir plus loin).

Mais l’obtention du degré d’alcool n’est pas le seul but.

Outre l’extraction (concentration) de l’alcool, la distillation a l’objectif majeur la constitution des arômes. On distingue ici plusieurs processus :


  • La concentration des arômes du vin ;
  • La séparation des arômes, permettant entre autres d’éliminer les produits volatils       indésirables (par exemple dans la tête et la queue du distillat, voir plus loin)
  • La création de nouveaux arômes.

L’alcool est en quelque sorte le vecteur qui génère le flux des composés volatils (arômes désirés et parties volatiles indésirables).

Signalons un aspect remarquable, trop facilement oublié. Tous les arômes créés par la distillation ont des molécules identiques  à celles trouvées au naturel dans les fruits, fleurs, feuillages et autres éléments (dixit Véronique Lemoine : « Les arômes du cognac », édition Féret).

Les rendements de la double distillation sont les suivants :


  • La première distillation nécessite 25 hl pour obtenir 9 hl de broullis  (distillat résultant de la première distillation avec un degré d’alcool aux environs de 27 %) :rapport de 2,78 volumes de vin pour 1 volume de brouillis.
  • Lors de la deuxième distillation, on perd de nouveau aux environs de 2/3 pour obtenir un alcool aux environs de 68 à 72 %.

En gros, il faut 9 litres de vin pour obtenir 1 litre d’eau-de-vie.

La matière première de la distillation

La matière première est le vin/moût stocké dans les cuves et obtenu par la vinification (fermentations). Ce moût contient les substances suivantes : alcool éthylique, glycérol, acides tartriques et lactiques, glucoses, fructoses, diverses autres particules volatiles ou solides (dont la lie) et 85 % d’eau. Si la plupart des producteurs ne distillent pas le vin avec la lie, certaines grandes maisons le font. Ces vins non filtrés, conservent des éléments solides en suspension qui sont riches en arômes et qui donnent de la longueur en bouche. Cette méthode comporte certains risques, mais donne cependant un résultat bien supérieur au niveau du produit final.

L’acidité recherchée du vin, notamment par le choix du cépage et le degré d’immaturité, permet un meilleur déroulement des réactions d’estérifications qui produisent les arômes de fleurs et de fruits. En effet, la constitution d’ester est un groupement caractéristique formé d’un atome lié simultanément à un atome d’oxygène (par une double liaison et à un groupement alkoxy du type  -O-R’. 


Quand cet atome est un atome de carbone, on parle d’esters carboxyliques. Les esters carboxyliques ont souvent une odeur agréable et sont à l'origine de l'arôme naturel des fruits. Si on sait encore que les esters carboxyliques sont des dérivés des acides carboxyliques et qu’ils résultent très généralement de l'action d'un alcool sur ces acides avec élimination d'eau, on comprend l’intérêt d’un vin acide au départ de la distillation.

Les principes généraux de la distillation (charentaise)

Le principe de base de la distillation consiste dans le réchauffement d’un liquide qui se transforme en vapeur. Cette vapeur, refroidie de nouveau,  se condense en un liquide. Si on ne met que de l’eau dans un alambic, il n’en ressort que de l’eau.

On sait cependant que le moût est composé d’un certain nombre d’éléments qui ont des points d’ébullition différents. Il contient aussi des éléments non volatiles qui, par conséquent, ne vont pas s’évaporer. Les liquides du moût sont constitués d’eau et d’alcool. Ainsi, l’alcool éthylique a un point d’ébullition de 78,3 °, celui de l’éthanal est à 21 ° et l’eau a un point d’ébullition de 100 ° dans des conditions de pression atmosphérique standard. L’alcool s’évapore donc en premier, passe par le chapiteau, puis par le col du cygne pour être refroidi dans le serpentin et  être recueilli.






Source BNIC (pour l’image)

Cependant, dans un liquide composé d’alcool et d’eau, l’alcool va donc s’évaporer en premier, mais il ne va pas s’évaporer complètement avant que l’eau ne commence à s’évaporer. La vapeur va contenir de l’eau et de l’alcool, avec cependant des proportions beaucoup plus importantes d’alcool.

Les premières vapeurs seront très (trop) chargées d’alcool, mais sa part va diminuer au fur et à mesure que la distillation se poursuit car il y aura au fil du temps de moins en moins d’alcool dans le moût pour s’évaporer.

Tout l’art consiste donc à arrêter la distillation quand on aura atteint le degré d’alcool voulu, à savoir à 27 % environ à la première chauffe donnant le brouillis et  entre 68 et 72 % à la deuxième chauffe du brouillis.

Les vapeurs des 2 chauffes ne contiennent pas seulement de l’alcool et de l’eau, mais aussi de nombreux composés aromatiques volatiles, à la base des arômes primaires  (provenant du raisin par concentration) et secondaires, ces dernières ayant été nouvellement créés par la distillation sur base de certaines particules contenues dans le moût.

Véronique Lemoine (« Les arômes du cognac ») : « La distillation va donc permettre de vaporiser de multiples composés odorants, qui seront entraînés avec les vapeurs d’eau et d’alcool et recueillis dans le distillat, le liquide final. Et comme le distillat sera bien plus concentré que le vin de départ, nous pourrons sentir les arômes qui étaient déjà présents dans le vin, mais à des concentrations si faibles que nous ne pouvions pas les percevoir. »

Véronique Lemoine précise encore dans son livre que chaque arôme possède son propre point d’ébullition et va donc être entraîné plus ou moins facilement par l’alcool. Les arômes vont donc s’évaporer l’un après l’autre, ce qui permet de les séparer et de choisir les parfums désirés.

Par ailleurs, la distillation par des réactions chimiques d’autres composants, va créer des arômes qui n’existaient pas auparavant.

L’alambic charentais (pour rappel, voir le schéma  plus haut) :

La double distillation (nécessitant 2 chauffes, le produit de la première chauffe/distillation étant repassé dans l’alambic pour une deuxième chauffe/distillation) doit être faite à l’aide de l’alambic charentais. Il est composé obligatoirement d’une chaudière (ou cucurbite) chauffée à feu nu (autrefois en utilisant  le bois, aujourd’hui par le gaz), d’un chapiteau, d’un col-de-cygne (avec ou sans chauffe-vin qui n’est pas obligatoire) et d’un serpentin avec appareil réfrigérant.

Cognac Monnet :




Installations pour productions plus volumineuses





Le cahier des charges précise en outre :

« La capacité total de la chaudière ne doit pas dépasser 30 hectolitres (avec une tolérance de 5%) et le volume de la charge est limité à 25 hectolitres (avec une tolérance de 5 %) par chauffe.

Toutefois, les chaudières d’une capacité supérieure fixée à l’alinéa précédent peuvent être utilisées, à la condition qu’elles soient exclusivement réservées à l’opération de la première chauffe en vue de l’obtention du brouillis et qu’elles répondent, en outre, à la condition que la capacité totale de la chaudière ne dépasse pas 140 hectolitres (avec une tolérance de 5 %) et le volume de vin mis en œuvre est limité à 120 hectolitre (avec une tolérance de 5 % ) par chauffe.

La limitation du volume de la chaudière a sa raison d’être dans le fait que l’eau-de-vie devient de plus en plus neutre si le volume de la chaudière augmente.

Les éléments de l’alambic ont des fonctions bien différentes.

La chaudière recueille le vin pour la première chauffe et le brouillis (résultat de la première chauffe) pour servir de base à la deuxième chauffe.

Le chapiteau et le col de cygne ont pour fonction de recueillir les vapeurs alcooliques tout en évitant la remontée du liquide bouillonnant. La forme du chapiteau a une forme d’olive ou d’oignon. Il permet la rectification/tri des vapeurs, sa forme y jouant un rôle.

Le réfrigérateur (une cuve remplie d’eau), contenant à l’intérieur le serpentin, a pour fonction de refroidir les vapeurs et de les condenser ainsi. Il permet aussi de réguler la température des distillats.
La chaudière, le chapiteau, le col de cygne et le serpentin sont obligatoirement en cuivre. Cela est dû au fait que le cuivre est malléable (fabrication) et est un bon conducteur de la chaleur. Ainsi le contact direct avec la flamme permet une chauffe régulière, évitant ainsi de « rimer » (phénomène de la cuisson de la lie qui adhère à la paroi). Par ailleurs, le fait d’être en cuivre a aussi comme conséquence de mieux résister à la corrosion. Il a en outre un rôle de catalyseur en provoquant une réactivité chimique avec certains constituants du vin en vue d’obtenir des eaux-de-vie de qualité. Ainsi, le cuivre réagit chimiquement avec les acides gras présents dans le vin en les fixant comme « savons de cuivre ». Il neutralise aussi les produits soufrés éventuels qui nuiraient à la qualité de l’eau-de-vie. Il retient ainsi dans le circuit de la distillation des composants lourds dont les odeurs dénatureraient les eaux de vie.

Le chauffe-vin a plusieurs fonctions. Son utilisation n’est pas obligatoire. Il semble que la maison Martell interdit même son usage. Si le chauffe-vin est bien utilisé, il peut apporter des plus-values au cognac. Mais s’il est mal utilisé, il peut bâcler la distillation. Une des raisons de son utilisation est d’ordre économique car il préchauffe le vin ou le brouillis avant de passer dans la chaudière. Ceci permet de faire des économies énergétiques. D’un autre côté, il refroidit partiellement les vapeurs qui sortent du chapiteau, permettant donc au système de réfrigération de travailler sur un liquide moins chaud lors de la condensation.

Procédé de la distillation

Voilà réunies maintenant toutes les informations nécessaires pour mieux comprendre ce processus et les raisons de certaines actions. Mais on comprendra aussi tout l’art du distillateur pour interpréter/évaluer les processus en cours et prendre les décisions nécessaires pour constituer un distillat de qualité.


  1. La distillation débute le 15 novembre et doit être terminée le 31 mars de l’année suivante.
  2. Signalons que la distillation peut se faire à la lie ou non, la distillation à la lie pouvant apporter des bonifications aux cognacs en phase de vieillissement.
  3. Le vin blanc est introduit dans la chaudière pour la première chauffe.
  4. Le vin est porté à ébullition et, chauffé par une flamme directe, ce qui a comme conséquence que  la lie tombe au fond de l’alambic. Le contrôle du feu est très important. La chauffe doit se faire à petit feu pour ne pas brûler la lie qui joue un rôle important dans la formation des arômes et la longueur en en bouche, en quelque sorte à la base du corps du cognac.
  5. Les vapeurs d’alcools (rappel : point d’ébullition de l’éthanal est de 21 ° et celui de l’alcool éthylique 78,3 °) générées en premier lieu par l‘ébullition, montent les premières, passent par le chapiteau, puis par le col du cygne pour être refroidies dans le serpentin.
  6. Le serpentin, refroidi par l’eau du réfrigérant,  provoque la condensation des vapeurs d’alcools qui s’écoulent pour donner le brouillis.
  7. Les premiers (dix) litres d’alcool, appelés têtes, seront mis de côté. La tête titre  plus de 85% d’alcool. Elle a des odeurs très désagréables, La tête contient des esters d’acide gras, des aldéhydes et des acétales  qui nuiraient à la qualité du cognac. Comme rien ne doit se perdre, il se peut que des distillateurs ajoutent la tête au vin destiné à la prochaine première chauffe. Il s’agit d’évaluer les avantages économiques par rapport aux avantages de qualité.
  8. Après la tête, s’écoule un liquide un peu trouble et laiteux (d’où son nom de brouillis) constitué par des alcools aromatiques. C’est le cœur de la première chauffe. Mais il contient déjà tout le potentiel de la future eau-de-vie. Le brouillis titre de 28 à 32 %vol. Ce brouillis est en soi imbuvable.
  9. Les 100 derniers litres, appelés queue, sont également éliminés. L’art du bouilleur consiste, entre autres, a bien séparer la tête et la queue du brouillis.
  10. La première chauffe est une concentration du moût, ce qui fait que le volume final de la première chauffe (cette dernière débarrassée de la tête et de la queue) a fortement baissé avec un rendement de seulement 750 à 800 litres. Pour la seconde distillation =  « bonne  chauffe», il faut donc rassembler les brouillis de plusieurs premières chauffes.  Pour la seconde chauffe, le volume de départ ne peut pas dépasser 2 500 litres, ce qui fait en gros le volume de 3 premières chauffes.
  11. La première distillation dure environ 9 heures.
  12. Le brouillis refroidi va repasser dans la chaudière pour une deuxième distillation, appelée bonne chauffe. Le même processus recommence, mais il y aura des différences qualitatives importantes.
  13. De nouveau, la tête (1 à 2 % du volume) est éliminée car trop riche en alcool et esters.
  14. Le liquide sortant du serpentin, après la coulée de la tête, est appelée le cœur. C’est une eau-de-vie claire et limpide titrant entre 68 et 72 % vol. C’est la base du futur cognac.
  15. Quand le cœur ne titre plus que 60 % vol, le distillat qui suit est de nouveau retiré. L’alcool, sortant et séparé du coeur, baisse progressivement  en %, et est appellé « secondes ». Si le taux de 5% vol des secondes est atteint, le distillat suivant est appelé (de nouveau) queue.
  16. La tête récupérée, est ajoutée au moût/vin. Les queues sont ajoutées, soit au vin, soit au brouillis. C’est une décision du bouilleur de crus.
  17. Les « secondes », titrant donc entre 5 et 60 %vol, sont  ajoutées soit au brouillis pour la bonne chauffe, soit incorporées dans la première chauffe. Les secondes ont un volume d’environ 30 % du volume du brouillis.
  18. L e cœur de la bonne chauffe, ne fait que 40 % du volume du brouillis (2 500 litres maximum)
  19. La deuxième chauffe dure environ 13 heures.
  20. Les opérations de la séparation des têtes, brouillis et queue pour la première chauffe ainsi que la séparation en tête, cœur, secondes et queue de la bonne chauffe sont appelées « coupes », à ne pas confondre avec les coupes effectuées au niveau des opérations de vieillissement (voir plus loin).

Les distillats (cœur) obtenus doivent être remplis dans un tonneau dans un délai d'un mois après distillation.

La distillation doit se faire à basse température et à feu très doux pour faire l’extraction en douceur des parties délicates, fines et raffinées. La distillation faite de cette manière permet aussi la séparation des têtes, brouillis, cœur, secondes et queues.

Rappelons encore que l’alambic pour la bonne chauffe ne peut dépasser 3 000 litres et être chargé au maximum de 2 500 litres, permettant  ainsi la séparation des différentes parties.

BNIC : « Plusieurs facteurs influencent les caractéristiques des eaux-de-vie. La conduite de la distillation influence pour partie le résultat final :
● la distillation de vin sur lies ou non ;
● l’allure et la durée de la chauffe ;
● le choix du recyclage des « secondes » avec les vins ou les brouillis ;
● le pourcentage de prélèvement des « têtes » et des produits de « queue » peuvent moduler les caractéristiques de l’eau-de-vie.
Il est par exemple possible de « tirer » un peu plus sur les « secondes » (en faire couler davantage) principalement pour les eaux-de-vie destinées à un long vieillissement afin d’obtenir des notes de pâtisserie. »

BNIC : sur les « bouilleurs de profession »

Les distillateurs de la Région du Cognac sont :
● les viticulteurs-bouilleurs de crus : Ils distillent ou font distiller à façon leur propre production. Ils sont plus de 4 000 dans la Région dont plus de 1 300 possèdent leur propre alambic. Certains bouilleurs de cru font également de la vente directe (un peu plus de 500). La majeure partie revend les eaux-de-vie au négoce. (Nota Bene : dans la Région, les bouilleurs de crus ne sont pas ambulants.)
● les bouilleurs de profession : Ce sont des distillateurs professionnels qui achètent les vins et revendent les eaux-de-vie. Ils peuvent également distiller à façon pour autrui. Ils sont un peu plus de 100.
● Il existe également quelques coopératives de distillation. »

Citons Constantin Parvulesco (« Le cognac, saveurs du terroir ») pour faire la transition vers prochaine étape, à savoir le vieillissement : « Au sortir de l’alambic, le cognac est encore dans son enfance : c’est à ce moment-là que les échantillons des différentes provenances et des différentes chauffes sont assemblées pour obtenir la ligne de goût de la maison, assurant la pérennité de la qualité et des arômes particuliers à chaque marque, malgré l’irrégularité des terroirs et des années. Mais il faudra d’abord parler des coupes du cognac avant d’approfondir les notions de vieillissement et d’assemblage.
Les coupes 

Le vieillissement des eaux-de-vie est une autre étape importante pour assurer la qualité du cognac. Une première étape, importante, est la détermination du contenu des fûts contenant les cœurs de la bonne chauffe. Cette sélection du contenu pour chaque fût est d’une importance capitale car elle conditionne le succès du vieillissement. On parle ici de l’opération de coupage dont le résultat est constitué par les différentes coupes. Cette étape est presque toujours négligée dans la description de l’élaboration du cognac.

Rappelons que le volume du cœur d’une bonne chauffe est d’environ 900 litres. En principe, les tonneaux servant au vieillissement ont une capacité entre 300 et 400 litres et doivent être fabriqués à partir du bois de chêne qui provient soit des forêts du limousin, soit des forêts du Tronçais. Ces deux bois ont des qualités différentes et influencent différemment les qualités des futurs cognacs. Nous allons y revenir lors du texte sur le vieillissement. Le volume du tonneau permet de contrôler la vitesse du vieillissement. Plus le volume du tonneau est élevé et plus lent est le vieillissement. Le volume de 350 litre, le plus utilisé (mais ce n’est pas une obligation), est un choix du producteur en fonction des objectifs de qualité de son futur cognac. La qualité des cognacs vieillis dans ces fûts est la condition sine qua non pour composer les cognacs mis en vente lors de l’opération de l’assemblage.

Mais revenons à l’opération des coupes qui comprend 3 étapes :

  • Coupe première ou précoupe
  • Coupe-mère
  •  Coupe finale
Les cœurs, à la sortie de l’alambic sont sélectionnés en fonction de leurs qualités gustatives caractéristiques selon leur provenance. Ces eaux-de-vie sont contrôlées puis assemblées en lots distincts selon leurs spécificités florales, fruitées, boisées ou épicées.  Cela s’appelle le classement par manches. Ces eaux-de-vie brutes, classées donc par lots, sont ensuite mélangées selon un canevas préétabli s’appelant patron de coupe (on retrouve aussi la notion de patron dans la couture ou le patron est le modèle d’un vêtement permettant de découper l’étoffe en ses parties pour les coudre en vêtement). Christian Pessey : « Véritable mémoire, ce document (patron de coupe) est une sorte de mode d’emploi permettant de retrouver les arômes spécifiques de la cuvée de référence, avec les éléments utilisés antérieurement pour y parvenir. La principale difficulté provient du fait que les éléments du moment sont forcément différents de ceux d’hier et leur évolution est loin d’être une constante fiable. » Le patron de coupe (le patron de coupe est un document, pas un personnage) est basé sur les expériences du passé en vue d’obtenir le même résultat comme par le passé. Rappelons qu’un des buts est de produire chaque année le cognac typique d’une bouteille sur base d’ingrédients qui changent tous les ans en fonction de différents paramètres comme par exemple les conditions atmosphériques (pluie, soleil et autres).

Cette opération de la coupe première ou précoupe aboutit donc au classement par manches.  Ces mélanges de cognac brut sont mis un certain temps dans des fûts pour acclimater le mélange et évaluer s’il évolue selon les critères espérés. Ce passage par les fûts s’appelle calage.

Toujours, selon le patron de coupe, on procède, suite à des dégusations régulières, au mélange des précoupes, soit entre elles, soit en y ajoutant d’autres eaux-de-vie. Il s’agit de la coupe-mère. Rien n’exclut par ailleurs que les proportions peuvent encore être changées dans la coupe-mère par des opérations de coupe supplémentaires. Physiquement, on peut ajouter du cognac à la coupe-mère, mais il n’est pas possible d’enlever des lots qualitatifs à la coupe-mère qui est un mélange avec ses caractéristiques. Les spécificités qualitatives ne peuvent donc être modifiées que par l’adjonction de nouveaux éléments. La coupe-mère constitue en quelque sorte les fiançailles.

Ces coupe-mères, après un contrôle gustatif et éventuellement un autre séjour dans les fûts, seront de nouveaux mélangées, selon les spécificités du patron de coupe, pour constituer la coupe finale. Cette opération est en quelque sorte le mariage (ou le divorce n’est en principe plus possible par après). La coupe-mère peut encore vieillir dans les fûts de chêne. Ce cognac est le produit final destiné à être mis en bouteille/carafe en vue de la commercialisation ou en dame-jeanne pour des utilisations postérieures.

Les précoupes sont la base première de la coupe finale. Des erreurs à ce stade peuvent avoir une incidence fatale. Mais ceci est aussi le cas pour les coupes-mère. On voit l’importance de ces opérations de coupe. Les différentes coupes subissent donc des vieillissements plus ou moins longs selon les décisions du maître de chai. Tout l’art du maître de chai est demandé à ce stade  ainsi qu’une maintenance/actualisation du patron de coupe sans aucune défaillance.

Ces différentes opérations de coupe, passées la plupart du temps sous silence, ne doivent pas être confondues avec l’assemblage des cognacs vieillis en vue de la réalisation du produit final, à savoir le cognac qui sera mis en bouteille / carafe pour être commercialisée. Arrivé à ce stade, on peut passer à l’opération de vieillissement qui se fait dans des fûts de chêne.

La coupe est la clé de voûte de la réussite de bons cognacs.

Le vieillissement

Rappelons que les étapes précédentes ont toutes contribué à la qualité du cognac final. Le vieillissement est une autre étape apportant des plus-values au cognac. La maturation du cognac dans les fûts de chêne aura plusieurs effets et l’eau-de-vie de départ va connaître plusieurs évolutions, celles-ci étant liées à différents processus qui se mettent en place l’un après l’autre :

  • Le fût de chêne va donner une couleur ambre plus ou moins importante à l’eau-de-vie en fonction de la durée du séjour dans le fût. Rappelons que l’eau-de-vie sortant de l’alambic est une eau-de-vie claire comme l’eau. Certaines maisons de Cognac introduisent du caramel dans l’eau-de-vie, afin d’assombrir sa couleur pour satisfaire des critères marketing importants pour l’export dans certains marchés. C’est une opération légale, mais constitue à mes yeux une tricherie.
  • L’eau-de-vie se charge de tanins, lignine, hémicellose et autres composants du bois du fût. Ce phénomène s’appelle l’hydrolyse. C’est la première étape du vieillissement. À ce stade, les arômes provenant du bois et ceux provenant des eaux-de-vie seront encore plus ou moins séparés.  Des saveurs et bouquets spécifiques se forment à ce stade : odeur de bois de chêne, caractère vanillé, arômes issus de la chauffe du bois (lors de la fabrication des tonneaux, sujet qui sera approfondi dans un autre article) et autres éléments.
  • Après l’extraction des composants du bois, l’eau-de-vie digère en quelque sorte le bois. On parle du mariage entre l’eau-de-vie et les composants de bois
  • La porosité du bois entraîne une oxygénation par le contact avec l’air (la capillarité du bois met en présence l’oxygène de l’air environnant et les composant chimiques de l’eau de vie. Suite à cette oxydation, les acides de base se décomposent. On parle de dégradation. L’expérience a montré que des fûts d’environ 350 litres donnent le meilleur équilibre entre la surface d’oxydation et le volume de l’eau de vie. Le goût s'adoucit, l'odeur de chêne étuvé disparaît au profit d'odeurs florales et légèrement vanillées, la coloration s'accentue. Au fil des années, l'eau-de-vie devient de plus en plus moelleuse, le bouquet s'enrichit, on observe l'apparition du « rancio ».  On décèle le rancio au nez et au palais chez les cognacs ayant 15 ans et plus. Si cette notion évoque la saveur âcre et le goût du moisi, l’œnologue parlera plutôt d’une pointe de sous-bois, de champignon, d’un soupçon de noix et de raisin sec. L’explication sur le plan chimique dit que la molécule responsable (cétone) résulte de la combinaison des acides gras du vin avec le tanin et la lignine du chêne des fûts. Cet effet de rancio est obtenu par l’oxydation de l’acide laurique qui est transformé en laurat d’éthyle.
  • Une partie de l’eau-de-vie (eau et alcool) s’évapore  plus ou moins vite, le bois des fûts étant plus ou moins poreux selon sa provenance (Limousin ou Tronçon). Cette perte de volume est de 2 à 3 % par an et est appelée la part des anges. Pour y remédier, on procède chaque année à l´ouillage, une opération qui consiste à remplacer l´alcool évaporé avec le contenu d´un fut de la même origine. Cette opération est nécessaire pour conserver le ratio volume/surface. Cette évaporation est une condition importante pour augmenter la qualité des cognacs et le fondu des arômes.
  • L’eau-de-vie subit ainsi, par ces processus d’interactions moléculaires, une évolution de ses saveurs et de son bouquet.
  • Signalons encore que l’addition de copeaux de chêne est autorisée dans des proportions légalement fixés pour accélérer le processus du travail du bois. Mais il me semble peu probable que des producteurs « puristes » recourent à ce procédé.
Le vieillissement se fait par de nombreux phénomènes :
  • L’extraction et la diffusion de certains composants du bois et de leur digestion.
  • L’évaporation de composants  tels que l’alcool, l’eau, l’éthanal et autres.
  •  Consommation d’oxygène.
  • L’oxydation a pour effet la formation d’aldéhydes.
  • Un certain équilibre s’installe entre ester et acide d’une part et entre aldéhyde et éthanal d’autre part.
  • Des réactions spécifiques entre les composants de l’eau de vie et les extraits du bois.

L’âge des fûts a une grande importance sur la qualité du cognac. Le vieillissement commence dans des fûts neufs très chargés en composants extractibles. Après la phase d’extraction, l’eau-de-vie est transféré dans des fûts ayant déjà hébergés plusieurs eaux-de-vie jeunes. Ces fûts sont appelés des fûts « roux ». Plus la période de maturation dure et plus les fûts sont remplacés au fur et à mesure par des fûts de plus en plus âgés pour finir dans des fûts pratiquement confits par les vieux cognacs qui y ont séjournés. Cette opération est appelée rotation. On voit donc bien la nécessité d’une bonne gestion des fûts vides en fonction de leur âge et éventuellement des contenus antérieurs. Cette gestion comporte une part quantitative car il faut disposer du nombre de fûts nécessaires en fonction des spécificités de la production en quantité et en qualité.

Le travail du bois sur les eaux-de-vie change d’intensité et de qualité au fil du temps. Il est évident que plus longtemps un même fût est en contact avec la même eau-de-vie et plus les composants extractibles du bois  diminuent en quantité. D’un autre côté, le vieillissement avec ses nombreuses autres réactions chimiques induit des changements qualitatifs. La nature du bois a aussi son influence propre. Ainsi, le chêne du Limousin qui a un grain gros et dur, est plus poreux et donne des tanins très appréciés. Par contre le chêne tronçonnais est plus tendre, mais son grain fin entraîne une évolution plus lente et moins boisée. Le choix des fûts en fonction du bois a donc son importance en fonction des objectifs visés.

L’hygrométrie des chais est un autre facteur jouant sur la qualité des cognacs. Dans les chais plutôt secs (humidité relative entre 40 et 60 %), l’évaporation porte essentiellement sur le volume avec perte d’eau. Les cognacs qui en sortent sont plutôt secs et ont plus de caractère. Par contre, pour les chais humides (humidité relative entre 90 et 100 %), l’évaporation porte essentiellement sur l’alcool, ce qui fait que les cognacs issus de ces chais sont plus moelleux et ronds. Certaines grandes maisons du Cognac ont établi leurs chais au bord de la Charente (Otard, Martell et Hennesy à Cognac et  Courvoisier et Hine à Jarnac). Est-ce un hasard ou une raison historique (transport du Cognac par les gabares) et/ou un souci de la maîtrise de l’hygrométrie des chais ? Des producteurs de cognac, surtout les grandes maisons, ne disposent pas d’un seul chai, mais de plusieurs avec des caractéristiques différentes. Ceci leur permet de faire tourner leurs eaux-de-vie en phase de vieillissement  dans les différents chais pour obtenir les caractéristiques du futur cognac : par exemple, faire passer les fûts d’abord dans chais secs, puis dans des chais humides (ou vive-versa).

Précisons, pour le folklore, que la gabare est une embarcation à faible tirant d’eau, donc à fond plat, permettant de naviguer sur des cours d’eau peu profonds tout en pouvant transporter des charges importantes. Ce genre de transport était peu rapide, mais dépendait peu des aléas de la route, fiable, pratique et peu onéreux.


On voit encore aujourd’hui des gabares aménagées pour charrier des flopées de touristes.

La température joue également un rôle dans le vieillissement. Plus la température est élevée, et plus rapide est le vieillissement. Les chais n’ont pas une température constante car ils ne sont pas sous terre, comme c’est par exemple le cas pour les champagnes. La vitesse de maturation/vieillissement dépend évidemment aussi des facteurs énumérés précédemment : extraction, diffusion, digestion oxygénation, évaporation, hygrométrie des chais et autres. Des variations de température entre 7 et 22 ° peuvent même être favorables au vieillissement.

La réduction est un autre facteur d’influence sur le vieillissement. L’eau-de-vie sortant de l’alambic à la deuxième chauffe a environ 72 % de teneur d’alcool, le cognac commercialisé en ayant en général 40 ou 43 %. Avec une évaporation naturelle de l’alcool d’environ 2 % par an (cela dépend de l’hygrométrie des chais et du bois des fûts), il faudra attendre des dizaines d’année, pour les chais sec encore plus.  Si la réduction naturelle est insuffisante, le cahier des charges prévoit la possibilité d’ajouter de l’eau pure, soit distillée, soit déminéralisée. L’opération de réduction est progressive et réalisée en plusieurs étapes. La réduction peut se faire à différents stades de la maturation, certains producteurs préférant une réduction précoce, une eau-de-vie traitée de cette manière avec des pourcentages d’alcools moindre au début de la maturation connaissant une autre qualité du vieillissement que les alcools ayant connu une réduction plus tardive. Pour éviter des réductions trop brutales, certains producteurs préfèrent ajouter de « petites eaux » constituées par un mélange d’eau et de cognac, titrant aux alentours de 20 % vol. Ces petites eaux sont parfois elles-mêmes vieillies pendant plusieurs mois, voire quelques années en fûts. Il semble que Delamain procède de cette manière pour respecter les qualités de leurs cognacs. Ceci implique évidemment une gestion des stocks supplémentaire bien précise.

Un autre facteur d’influence sur le vieillissement est l’origine des raisins. La région autorisée pour produire du cognac (appellation d’origine contrôlée) est subdivisée en six sous-régions encore appelées crus. Un autre article sera consacré aux crus. Mais il faut à ce stade donner  cependant certaines indications succinctes. Les six crus sont les suivants :


  • Grande Champagne
  • Petite Champagne
  • Borderies
  • Fins Bois
  • Bons Bois
  • Bois ordinaires
La répartition de la production des Cognac par cru est la suivante :


  • Grande Champagne                                            18 %
  • Petite Champagne                                               21%
  • Borderies                                                               6%
  • Fins Bois                                                              42 %
  • Bons Bois                                                             12 %
  • Bois ordinaires                                                       1 %
 La nature des sols des crus est évidemment aussi un facteur d’influence sur les spécificités des cognacs puisque conditionnant la vigne.

En ce qui concerne le vieillissement, les eaux-de-vie issues la Grande Champagne et la Petite  Champagne ont une maturation lente. Celles des Borderies et Fins Bois ont une maturation plus rapide que celles de la  Grande Champagne et de la Petite  Champagne. Enfin, les eaux-de-vie issues des Bons Bois et des Bois ordinaires connaissent une maturation rapide. On peut s’imaginer que ces caractéristiques ont une incidence sur la production des cognacs et les critères de qualité résultant de la durée du vieillissement. Il faut d’abord mentionner les règles pour calculer l’âge des cognacs vendus.

Le compte d’âge est calculé d’une manière un peu spéciale :

La période de distillation autorisée doit se terminer au plus tard le 31  mars. À partir du 1 avril commence la première année de maturation qui dure jusqu’au 31 mars de l’année suivante. Par définition, cette première année de maturation est référencée comme compte 0.  Les cognacs  ayant le compte 0 ne peuvent être commercialisés.




Il faut lire le tableau de la manière suivante : un cognac rattaché au compte 1 a accompli une année de maturation complète car ayant séjournée pendant une année entière dans le fût (pendant le compte 0, première année de maturation). Il ne suffit pas de commencer une année de maturation, encore faut-il la terminer pour accéder au compte d’âge suivant.

Signalons encore que si un cognac commercialisé est un assemblage, l’âge du plus jeune cognac détermine le compte d’âge. Certaines indications cependant sont douteuses. Ainsi, si le producteur indique que la moyenne d’âge de son cognac est de 6 ans (actuellement un XO), cela ne veut pas dire que l’assemblage ne contienne pas des cognacs avec un compte 4. Par ailleurs, cela ne dit rien non plus sur les proportions des différents cognacs de l’assemblage. Ainsi, théoriquement, rien n’exclut qu’un producteur mélange dans un assemblage un cognac avec un compte 3 avec une proportion de 80 % de volume et 20 % de cognac ayant un compte 9. La moyenne d’âge est un compte 6, apparemment un XO si on n’est pas vigilant. Personnellement, je considère l’indication d’une moyenne d’âge comme trompeuse et malveillante.

Le dernier classement est le compte 9 (10 ans accomplis de vieillissement dans un fût) pour toutes les eaux-de-vie plus âgées.

À partir de 2016, les dénominations XO, Extra, Hors d’âge vont être rattachées  au compte de vieillissement 10.

Les dénominations sont souvent des abréviations :

VS (« Very Special » ou Trois Étoiles) : assemblage d’eaux-de-vie d’un vieillissement minimum de 2 ans (compte de vieillissement 2).

VSOP (« Very Special Old Pale ») : assemblage d’eaux-de-vie âgées de 4 ans minimum (compte de vieillissement 4). Cette catégorie est née au début du XIXe siècle, suite à une requête de la British Royal House qui souhaitait recevoir son cognac « pale », c'est-à-dire sans aucun additif, sucre ou caramel.

XO (« Extra Old ») : assemblage d’eaux-de-vie âgées de 6 ans minimum (compte de vieillissement 6). Un minimum de 6 ans qui sera porté à 10 ans en 2018 (compte de vieillissement 10).
Napoleon – Vieille Réserve : assemblage d’eaux-de-vie de 6 ans minimum (compte de vieillissement 6) commercialisées entre les catégories VSOP et XO.

Extra – Hors d’Âge : assemblage d’eaux-de-vie de grande qualité d’un âge souvent bien supérieur aux XO.

De nombreuses maisons en quête d’une plus grande complexité aromatique n'hésitent pas à assembler leurs cognacs avec un âge souvent bien supérieur aux minimums de vieillissement imposés.

On voit donc l’importance de la réduction en fonction des valeurs de ce tableau. Il semble évident qu’un Cognac VSOP, ayant connu 4 ans complets de maturation (au minimum) et ayant entamé une 5ième ou même 6ième année de maturation, doit connaître des réductions importantes pour arriver au taux d’alcool de 40 %. Mais les comptes indiqués pour les différentes qualités sont un minimum obligatoire. Rien n’empêche un producteur de vendre un VSOP de 25 ans s’il ne veut procéder à des réductions importantes pour garder un corps plus aromatique et concentré de son VSOP (Lors d’une tournée d’achat de cognac XO dans la région, j’ai fait la connaissance d’un producteur disant pratiquer cette politique. Ce producteur avait clairement opté pour une politique de qualité au détriment d’objectifs de gains à court terme à cause de l’immobilisation plus longue de son stock de son VSOP et donc d’un cash-flow moins rapide. Il commercialisait, selon ses dires, un VSOP âgé de 20 ans, permettant de devoir faire des réductions moins importantes).

En dehors des dénominations mentionnées, différentes maisons en utilisent bien d’autres. Aussi un décret a-t-il apporté des précisions supplémentaires dans le cahier des charges pour remettre de l’ordre. Le nouveau cahier des charges de Cognac relie désormais avec précision le compte d'âge minimal des assemblages d'eaux-de-vie et les mentions de vieillissement étiquetées sur le produit fini. :


  • Selon ces correspondances, un compte de vieillissement 2 (soit deux années d'élevage après distillation) est le minimum obligatoire pour les mentions : 3 étoiles, sélection, VerySpecial (ou VS), de luxe et Millésime.
  • Les mentions cuvée supérieure, qualité supérieure et supérieur sont accessibles à partir d'un compte 3
  • V.S.O.P., réserve, vieux, rare et royal au compte 4.
  • Vieille réserve, réserve rare et réserve royale au compte 5.
  • Napoléon, très vieille réserve, très vieux, héritage, très rare, excellence et suprême au compte 6
  • XO, hors d’âge, extra, ancestral, ancêtre, or, gold et Impérial au compte 10. Il est cependant à noter que dans le cadre d'une mesure transitoire dans le rattachement du XO au compte 10, ces dernières mentions (XO, mais aussi hors d’âge, extra...) peuvent encore être utilisées pour des eaux-de-vie de compte 6 jusqu’au premier avril 2018.
« Les mentions de vieillissement n’étaient pas consignées jusqu’alors dans le cahier des charges » précise le Bureau National Interprofessionnel de Cognac, « elles relevaient d’une approche interprofessionnelle. Leur intégration dans le cahier des charges permet de sécuriser leur utilisation ».
Signalons encore  que le BNIC contrôle et certifie le vieillissement des cognacs. 
Quand le maître de chai estime que le cognac est arrivé à son maximum, le cognac est versé dans des contenants en verre car le cognac n’évolue plus dans ce contenant. Soit il est conditionné pour la commercialisation dans des bouteilles et/ou carafes, soit il est transvasé dans des bonbonnes de verre ventrues appelées Dames-Jeannes en vue d’une utilisation ultérieure. Ces Dames-Jeannes sont stockées à l’abri de la lumière dans des (partie de) chais dénommés « Paradis » où elles demeurent intactes pendant de longues années jusqu’à leur utilisation (par exemple dans des assemblages) ou leur commercialisation.
Ci-après quelques illustrations de dames-jeannes, très intéressantes :






Illustration d’un « paradis »



L’assemblage

On a vu que les différentes coupes (première, mère, finale), sont par définition des assemblages à différents stades du vieillissement. Mais après la consultation d’une multitude de textes, il m’est impossible de dire si des assemblages sont peut-être encore faits en utilisation des coupes considérées à un certain moment comme déjà finales. Mais une telle coupe n’était finalement pas finale si tel est le cas, même si on le pensait à un certain moment. Ce cas pourrait survenir théoriquement si une coupe finale n’aurait pas évolué comme prévue pour différentes raisons inconnues à cause de l’évolution inhabituelle de certains facteurs. Cette question reste ouverte pour moi et j’aimerais bien que des professionnels m’éclairent à ce sujet. Ma tendance personnelle m’incite à le croire et ce ne serait que logique que des assemblages se fassent à tous les stades du vieillissement avant la mise en bouteille.

Je pourrais aussi m’imaginer que la création d’un nouveau produit dans la gamme des cognacs d’une maison pourrait se faire en utilisant exclusivement des coupes finales déjà existantes suivant le patron de coupe.

Ces réflexions incitant (pour trancher et lever l’ambiguïté) à ne considérer comme coupe finale que le produit qui est mis en bouteille (bouteille, carafe, dame-jeanne), quelles que soient les différents assemblages antérieurs et les dénominations antérieures usuelles. Mais finalement, il ne s’agit peut-être que d’une question de terminologie et que tout assemblage, sauf le dernier avant la mise en bouteille (qui pourra encore séjourner pendant un certain temps dans des fûts pour des raisons techniques sans y toucher autrement par après), doit être considéré comme coupe-mère.

En dehors de ces considérations, il reste beaucoup à dire sur l’art de l’assemblage. La réussite d’un cognac dépend de l’art du maître de chai dans ce domaine.

L’assemblage est le « mélange » d’alcools vieillis en fût de chêne provenant de crus et/ou de cépages différents et d’âges différents.

Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Il y a des cognacs millésimes mis sur le marché ayant le même compte d’âge. Par ailleurs, il se peut aussi que le millésime ait à l’origine un seul cépage en provenance même d’un seul même vignoble. Mais ces cas sont en quelque sorte l’exception et plus probables pour des producteurs indépendants fabriquant leur cognac de la vigne à la mise en bouteille.

Ce cas de figure est plus improbable chez les grandes maisons qui achètent leur matière « première » (brouillis, cœur, cognac vieillie en coupe première ou même en coupe-mère)  à gauche et à droite. On se trouve ici en présence du négociant assembleur. Il semble que Hennessy (44 % part de marché mondial, dit-on) possède la plus grande réserve de cognac pour l’assemblage final. Il semble évident qu’une telle maison soit peu impliquée dans les premiers stades de l’élaboration du cognac.
Quel est en fait l’enjeu de l’assemblage ?

Les producteurs de cognac ont développé une certaine gamme de produits. Si le client a trouvé plaisir à un certain produit, il veut pouvoir racheter ce produit (en principe, si sa bouteille est vide, sauf s’il croît que le cognac est un investissement) et retrouver les mêmes qualités du produit (œil, nez et bouche). Il faut donc rassurer le client fidélisé par un produit constant. Or c’est là où le bât blesse. En effet, les « inputs » pour le cognac final (entrants) changent et évoluent pour toutes sortes de raisons. On a vu dans les développements précédents les nombreux facteurs/paramètres pouvant intervenir dans l’élaboration d’un cognac. Certains de ces facteurs ne peuvent être maitrisés, comme par exemple les conditions climatiques pouvant avoir une grande influence sur les vignes. Ainsi, le changement climatique, avec son réchauffement, risque d’entraver certaines caractéristiques de l’ugni blanc, comme par exemple son acidité, pourtant facteur contribuant fortement aux caractéristiques du cognac.

L’assemblage est l’outil pour réaliser cet objectif. Parvulesco formule l’enjeu de la manière suivante : « L’assemblage consiste à marier des eaux-de-vie de différentes années et de différentes parcelles pour obtenir un équilibre parfait des goûts et des arômes, dans le respect et la continuité de la ligne de la maison productrice. »

Ici rentre tout l’art du maître de chai en scène. Le maître de chai dispose de maintes possibilités pour obtenir le résultat voulu. Nous avons parlé antérieurement du patron de coupe. Christian Pessey décrit les atouts, mais aussi les limites de ce modèle : « Les grandes maisons ont à leur disposition un patron de coupe, sorte de modèle, secret bien sûr, offrant une ossature de composition avec ses références et proportions, réactualisées chaque année. »Mais cette aide, indispensable et précieuse peut s’avérer insuffisante. En effet, les « inputs » (manches et assemblages intermédiaires en vue de la coupe finale) peuvent présenter des nuances et évolutions qui ne correspondent pas nécessairement exactement aux indications du patron de coupe. Ici intervient  la mémoire presque « encyclopédique » du maître de chai qui est à la fois cérébrale, olfactive, gustative et visuelle, permettant de tenir compte des éventuelles nuances qui pourraient influencer le produit final. Il suffit de voir l’étendue de certaines armoires d’échantillons pour se rendre compte de la complexité de la tâche. .J’ai eu l’occasion, il y a plus de 10 ans, de pouvoir visiter la pièce où Delamain gardait ses échantillons. C’était plus qu’impressionnant.


 

Images de la maison Hennesy



Images de la maison Camus :



L’assemblage peut prendre des allures très différentes selon les acteurs concernés.  Le producteur indépendant, réalisant ses cognacs de A à Z jusqu’à la commercialisation, ne dispose normalement pas de territoires dans les différents crus, lui permettant de faire de savants mélanges. Ainsi, à titre d’exemple, s’il ne dispose pas de vignobles propres chevauchant la frontière entre Grande Champagne et Petite Champagne, il ne pourra jamais réaliser avec sa propre production une « Fine Champagne » (cognac issu d'un assemblage de Grande et de Petite Champagne contenant au moins 50% de Grande Champagne). Les cognacs des producteurs indépendants peuvent être des millésimes ou encore des cognacs provenant d’années différentes, mais des mêmes parcelles (ou encore autre chose).

(Il serait peut-être utile d’ouvrir une parenthèse de la notion de « Champagne » dans le contexte du cognac.  Le vieux mot champaigne signifiait plaine, terrain plat, sans bois. Ce nom fut donné à cette partie de l'est de la France où l'on ne rencontre pour ainsi dire aucune montagne. Nous disons aujourd'hui Champagne, connue mondialement pour ses produits pétillants. De champaigne est encore venu le mot campagne dont le sens moderne est fort étendu. Les crus Grande et Petite Champagne tiennent leur nom du fait que les Charentes sont peu boisées (voir Google esrth) , peu montagneuses et fertiles. Les vins qui servent à fabriquer le cognac y sont récoltés dans les plaines et non sur les coteaux. En passant par coogle earth, on voit que les autres crus sont nettement plus boisés.)

Les grandes maisons sont surtout (sinon exclusivement) des négociants. Ils ne dépendent pas d’un territoire, n’ont pas la plupart du temps (mais pas nécessairement) leur propres vignobles et ne font généralement pas la distillation. Ils achètent, selon les différents cas de figure possibles, soit des raisins, soit des brouillis, soit des cœurs, soit déjà des eaux-de-vie plus ou moins vieillies, soit encore autre chose.

Il faudrait peut-être mentionner à ce stade brièvement le métier du courtier dans la scène du cognac. Le courtier a pour mission d’estimer la qualité des eaux-de-vie et de mettre en relation producteurs et négociants. Son métier l’amène à pénétrer dans un grand nombre de chais pour estimer les lots de cognacs y stockés, ce qui lui permet de faire des propositions possibles entre les différents acteurs aux différents stades de l’élaboration du cognac. En dehors de cette activité particulière, le courtier a cependant bien d’autres attributions.

Il est fort possible que certains négociants disposent de plusieurs chais, les uns humides pour accélérer l’évaporation de l’alcool (eaux-de-vie douces et rondes), soit des chais secs qui donnent des cognacs « conservant le feu de l’alcool et donnant des arômes de feuilles et de noix » (Véronique Lemoine).

Les grandes maisons ont évidemment un certain pouvoir sur leurs fournisseurs de matière première. Ainsi elles peuvent imposer, en quelque sorte, un cahier de charges à leurs bouilleurs de crus. Nous avions rencontré un producteur indépendant dont le fils était bouilleur de crus pour une grande maison. Au point de vente de ce producteur, pour ses propres produits, étaient affichés les certificats de cette grande maison attestant que le fils était leur meilleur bouilleur de crus, et ceci sur plusieurs années. Une telle distinction laisse présupposer de bonnes qualités des cœurs pour la propre production du domaine. Un autre négociant va par exemple demander des distillations à la lie pour enrichir ses cognacs finaux. 

Un autre négociant demandera des eaux-de-vie légères et épurées en vue de mettre plus l’accent sur le travail du bois par la rotation (des fûts), par exemple en jouant sur la nature des bois du fût (Limousin ou Tronçon) ou sur les fûts neufs ou les roux. D’autres se plaisent à créer des millésimes en cherchant à valoriser les meilleures années.
Je me permets de représenter (citation graphique) une page du site de la maison Delamain pour montrer l’attention qui peut être apporté à ce genre de produits qu’est le millésime (ce n’est pas une publicité pour Delamain car je suppose que d’autres maisons font de même. Mais la formulation du texte illustre bien l’enjeu. Ici le lien pour ce texte :http://www.delamain-cognac.fr/fr/media/exception.pdf

 

Les possibilités d’assemblage dépendent évidemment des stocks de cognac qui peuvent être faramineux.

Même si le cognac est produit et vendu à des échelles parfois industrielles par les grandes maisons, il reste un produit artisanal. Rappelons que la deuxième distillation, la bonne chauffe, ne peut se faire que sur un volume maximum de 2 500 litres, donnant un volume final d’environ 900 litres. Le point de départ ne peut donc être qu’artisanal, même s’il y a des bouilleurs de crus professionnels. Tout dépendra de la qualité du traitement donnée aux opérations suivant la récolte du cœur.

Les négociants achètent donc des lots sélectionnés en fonction de leurs qualités et spécificités dans toute la région de cognac en faisant les coupes selon leurs patrons de coupe avec les rectifications nécessaires et leurs procédés de vieillissement (choix du bois selon les buts visés, fûts jeunes ou roux, réduction à différents stades selon leurs méthodes, vieillissement plus ou moins, etc.) pour arriver au résultat visé : ce produit spécifique de la gamme (ou une création nouvelle si on veut élargir la gamme). Tous ces produits « intermédiaires » sont goûtés et regoûtés pendant des années (pas pour un VS évidemment, compte d’âge 2)  avant d’être choisis parce qu’au point pour rentrer dans la coupe finale, donnant le produit spécifique visé. Le petit-fils pourra goûter le « même » cognac que son grand-père si le produit est maintenu dans la gamme pendant plusieurs générations.

La mise en bouteille

Le contenant dans lequel le cognac est vendu est un atout pour la vente et le marketing. On trouve des bouteilles sobres avec des cognacs de valeurs. Les images ci-après servent seulement pour des fins d’illustration et ont été sélectionnées au gré du hasard des recherches.

   



Mais peut aussi acheter des carafes coûtant entre 50 et quelques milliers d’Euros.




Le volume des contenants peut aussi varier fortement. Le volume standard est 70 cl. Mais il y a des contenants à 10, 20, 35, 50 cl, en dehors des mignonnettes.



Des contenants à des volumes plus réduits sont intéressants parce qu’ils permettent de faire une prospection à moindre coût avant d’acheter le contenant « grandeur nature » (70 cl). Signalons en principe que si on a le choix entre la carafe et la bouteille pour un même produit, la bouteille est normalement moins chère.  Tout dépend des objectifs personnels : goûter le cognac pour le plaisir (simple bouteille) ou acquérir des objets qu’on expose fièrement. On peut aussi faire les deux si on a les moyens financiers. Par ailleurs, toujours si on a les moyens financiers, on peut aussi acquérir de belles carafes pour des raisons esthétiques. Mais dans ce cas, on pourrait aussi essayer d’acquérir des carafes vides.

 Dans ce sens, un essai sur Internet par ebay a été concluant. Cela semble donc se pratiquer, encore que la fréquence ne soit probablement pas élevée.  Ci-après, l’illustration d’une transaction :






Signalons que le musée des arts du cognac (à Cognac même) expose une belle collection de bouteilles et carafes.

D’autres facteurs doivent être considérés. Ainsi, la mise en bouteille peut être faite par le producteur indépendant ou par le négociant (mise en bouteille à la propriété) ou encore par sous-traitance par des sociétés spécialisées. Encore faut-il veiller, dans ce dernier cas, à la bonne qualité et garantir un suivi de la mise en bouteille par un cahier de charges et un contrôle rigoureux. Ainsi, le dernier lavage des contenants avec du cognac est une pratique courante, aussi pour les grandes maisons. 

Avant la mise en bouteilles, la filtration à froid permet d’améliorer la brillance du Cognac, mais elle peut entraîner aussi  la perte de certains composés aromatiques. Aussi certains producteurs procèdent-ils par exemple à une filtration douce pour préserver les qualités intrinsèques du produit.

Et puis il y a des pratiques très innovantes. Je reproduis ci-après les indications d’un site qui décrit une pratique qui va se généraliser peut-être pour des cognacs chers et de collection : https://www.aruco.com/2015/07/remy-martin-club-connected-bottle/
 
Pour innover, Rémy Martin annonce que son célèbre cognac Club sera désormais accompagné par une bouteille connectée. Grâce au NFC intégré au flacon, on pourra contrôler l’authenticité du breuvage.
La marque de luxe Rémy Martin espère aider ses clients à s’assurer de l’authenticité des produits qu’ils ont entre les mains. En partenariat avec Selinko, Rémy Martin a mis au point la première bouteille de cognac connectée. Celle-ci est en mesure de détecter la première ouverture du flacon de cognac à l’aide d’un capteur NFC qui vous indique ainsi que vous êtes en présence d’un produit authentique, qui n’a pas déjà été ouvert puis re-rempli. Il s’agit malheureusement d’une méthode de contrefaçon très courante dans le vin, notamment en Asie où les produits de luxe en provenance d’Europe s’échangent à prix d’or.





Cette technologie avant-gardiste est certifiée ANSSI – EAL4+ et offre le même niveau de sécurité que celui des passeports électroniques ou cartes bancaires. Augustin Depardon, le directeur de la communication de Rémy Cointreau explique à LSA :
« Dans un monde hyper connecté, les clients ne cherchent plus seulement des vins et spiritueux de haute qualité, ils souhaitent également interagir avec leur marque. Nous sommes fiers d’être les premiers à répondre à ce besoin dans le monde des spiritueux, avec Rémy Martin CLUB connected bottle »



Une autre pratique intéressante est le « coffret de dégustation » (façon de parler,  avec des volumes plus réduits, permettant de découvrir la gamme d’un producteur/négociant à un coût intéressant.








Finalement, l’emballage du contenant du cognac peut aussi être très soigné.

 Coffrets plus simples (sic)





Coffrets sophistiqués :





Gérard Allemandou, propriétaire du restaurant parisien La Cagouille donne les conseils suivants pour la conservation des bouteilles : "Toujours debout, car la force de l'alcool dégraderait rapidement les bouchons. Même ainsi d'ailleurs, mieux vaut les vérifier tous les dix ans parce que les seules vapeurs peuvent suffire à les racornir. Je déconseille aux particuliers l'achat de magnums, même pour un cadeau : mieux vaut alors deux bouteilles, si possible différentes. Au fur et à mesure qu'elles seront vidées de leur cognac, on les remplira de billes de verre transparent parfaitement propres : ainsi le niveau de l'eau de vie restera constant, au goulot, là où la surface en contact avec l'air est la plus réduite. Autre solution : dès l'achat, transvaser la bouteille dans deux autres ,moitié moins grandes. Tout cela vaut bien entendu surtout pour les très belles eaux-de-vie, celles qu'on déguste seulement entre connaisseurs très éclairés. Pour les autres, le simple partage du plaisir est déjà un grand moment."
 
Last but not least, il faut encore parler des étiquettes.

Un Cognac s'identifie à travers les mentions portées sur son étiquette, et ceci à travers un certain nombre de mentions exigées par la réglementation nationale et ou européenne...
Selon le BNIC (reproduction intégrale d’un de ses documents): 

  • « L'Appellation « Cognac » ou « eau-de-vie de Cognac » ou « Eau-de-vie des Charentes » doit obligatoirement figurer sur l'étiquette.
  • Les eaux-de-vie d'Appellation d'Origine Contrôlée d'origine viticole peuvent être accompagnées du mot « Fine ». Cette mention est facultative.
  • Le Cognac est traditionnellement le fruit de l'assemblage d'eaux-de-vie d'âge et de crus différents, mais ce n'est pas obligatoire.
  • Si un cru est mentionné sur l'étiquette (voir paragraphe plus haut sur les crus), cela signifie que 100 % des eaux-de-vie qui constituent l'assemblage proviennent de ce cru. Par ex : « Appellation Cognac Petite Champagne contrôlée »
  • « Appellation Cognac Fine Champagne Contrôlée » : Eaux-de-vie issues exclusivement de Grande Champagne (minimum 50%) et Petite Champagne

Musée des arts du cognac


Étiquettes spécifiques :





Les mentions de vieillissement donnent des indications sur l'âge de l'eau-de-vie la plus jeune entrant dans l'assemblage (Voir plus haut le paragraphe sur les comptes d’âge avec les évolutions en vue) :
  • *** ou VS : l’eau-de-vie la plus jeune entrant dans l’assemblage doit avoir au moins 2 ans (compte de vieillissement 2)
  • VSOP : l’eau-de-vie la plus jeune entrant dans l’assemblage doit avoir au moins 4 ans (compte de vieillissement 4)
  • Napoléon, XO**, Extra**, Hors d’âge** : l’eau-de-vie la plus jeune entrant dans l’assemblage doit avoir au moins 6 ans (compte de vieillissement 6)
D'une manière générale, chaque négociant utilise pour la réalisation de ses assemblages, des eaux-de-vie plus vieilles que le minimum requis. Elles peuvent avoir vieilli pendant plusieurs dizaines d'années pour les désignations les plus prestigieuses. Ces désignations intégreront le compte de vieillissement 10 en 2018 (min. 10 ans de vieillissement pour l'eau-de-vie la plus jeune)
Millésimes : Il s'agit de Cognacs dont les eaux-de-vie proviennent d'une seule et même année. (C'est alors l'année de la récolte qui est indiquée sur l'étiquette). Il s'agit d'une pratique peu courante pour le Cognac.

NOTA BENE : Un Cognac prêt à être consommé ne peut être commercialisé sans avoir subi un vieillissement sous bois de chêne d'au moins deux ans comptés à partir du 1er avril de l'année suivant la vendange .Il conserve toute sa vie l'âge qu'il avait lors de sa mise en bouteille, car, contrairement au vin, l'alcool n'évolue plus sous verre. « 
 La rédaction de cet article était sur le plan personnel un exercice enrichissant parce qu’il m’a apporté, par les nombreuses recherches, des approfondissements en la matière. Mais comme déjà dit au début  du texte, je ne suis pas du métier. Aussi saurais-je gré au lecteur averti de le considérer comme un « document-martyre ». C’est dans ce sens que je le prie de me signaler les erreurs et autres suggestions de modifications.




















 




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