La question des crus a été déjà traitée en partie dans 2
autres articles du blog, à savoir « L’élaboration du Cognac : de la
vigne à a bouche » (26 juillet) et « Arômes et saveurs du cognac, sa
dégustation » (4 août). Il va de soi que les éléments concernant les crus de
ces deux articles seront repris dans le présent article qui a pour but de
rassembler toutes les informations possibles autour de la notion de « crus »
comme thème central.
Contrairement au whiskey qui peut être produit dans le monde
entier, l’eau-de-vie de Cognac est une AOC (appellation d’origine
contrôlée) qui peut porter 3 noms différents et qui ne peut être
produite que sur un territoire bien spécifique pour tous les cycles de la
production (voir article « élaboration . … » en ce qui concerne les
cycles ) :
·
Cognac
·
Eau-de-vie de Cognac
·
Eau-de-vie des Charentes
L’Organisme de Défense et de Gestion du Cognac a établi un
cahier de charges qui a été homologué par le décret No 2015-10 du 7 janvier
2015. Ce cahier de charges définit aussi les spécifications en ce qui concerne
les crus, dont le lien à l’origine et au terroir.
L’appellation peut être seulement attribuée aux raisins
récoltés et vinifiés sur le territoire des communes et qui sont élaborées et
vieillies sur le territoire.
La charte définit explicitement les communes autorisées par
départements, arrondissements, cantons jusqu’au niveau des communes.
Les départements essentiellement concernées sont la
Charente, la Charente Maritime, la Dordogne et Deux-Sèvres, ces deux derniers
ne comportant que peu de communes pouvant porter l’appellation
« Cognac ».
En dehors de cette énumération exhaustive, il y a un critère
de dénomination géographique, à savoir les crus (terroirs) qui sont au nombre
de 6 :
·
Grande
Champagne (complété de la dénomination géographique complémentaire « Grande
Fine Champagne »)
·
Petite
Champagne (complété de la dénomination géographique complémentaire «Petite
Fine Champagne »)
L’appellation contrôlée «Cognac » complétée
de la dénomination géographique complémentaire «Fine Champagne » ne peut être accordée qu’au mélange des
eaux-de-vie provenant des deux territoires définis ci-dessus pour les
dénominations géographiques complémentaires «Grande Champagne» et «Petite
Champagne » et contenant au minimum 50 % d’eau-de-vie originaire de la « Grande
Champagne ».
·
Borderies
·
Fins Bois
·
Bons Bois
·
Bois
ordinaires (ou Bois à terroir).
La carte (BNIC) ci-après montre ce découpage :
Les communes des 4 départements faisant partie de la
dénomination AOC Cognac sont explicitement définies par cru par cette même
charte.
Le découpage géographique des crus ne correspond pas au
découpage par départements, comme le montre la carte ci-après :
·
La Grande
Champagne se trouve entièrement dans le département de la Charente
·
La Petite
Champagne, les Borderies, les Fins Bois et les bons Bois chevauchent les 2
Charentes.
·
Les Bois
Ordinaires se trouvent essentiellement dans la Charente Maritime, mais
aussi dans les 2 départements Deux-Sèvres et Dordogne. Il faut cependant savoir
que cette appellation ne contribue qu’à raison de 1,1 % à la production du
Cognac (voir article « L’économie du Cognac »).
Au 19ième siècle, une étude géologique, associée
à une dégustation pour classer les différentes zones de production du cognac en
fonction des qualités données par les sols du territoire a abouti à la
classification de ces 6 crus, le dernier décret en ligne y relatif datant du 7
janvier 2015.
Selon la Charte et « Selon
les travaux menés à cette époque, la dominante des sols qui caractérise ces
dénominations se schématise ainsi :
- Grande et Petite Champagne : sols argilocalcaires assez superficiels sur calcaire tendre, crayeux, du crétacé ;
- Borderies : sols silico-argileux, à silex résultant de la décarbonatation du calcaire ;
- Fins Bois : majoritairement occupés par des « groies », sols argilocalcaires superficiels rouges et très caillouteux, d’un calcaire dur du Jurassique et de sols très argileux pour le reste ;
- Les Bois (Bons Bois, Bois ordinaires et Bois à terroirs) : sols sableux en secteurs côtiers, dans certaines vallées et dans toute la partie sud du vignoble. Ce sont des sables que l’érosion a apportés du Massif central. »
Le BNIC définit la géologie des sols un peu différemment (voir article
« arômes et saveurs ….. du blog):
Les champagnes
Les champagnes sont des sols argilo-calcaires assez superficiels sur
calcaire tendre, crayeux, du crétacé. La teneur en calcaire est très élevée dès
la surface. Le type d’argiles rencontré dans ces sols (montmorillonite) leur
confère une bonne structure, une fertilité élevée et une réserve en eau
correcte. Malgré leur faible épaisseur, ces sols craignent donc peu la
sécheresse, d'autant que le sous-sol poreux contribue à la réserve en eau : il
se comporte comme une énorme éponge au travers de laquelle l'eau peut lentement
remonter au fur et à mesure que la sécheresse estivale s'accentue.
Les groies
Les groies couvrent une grande partie des Fins Bois. Ce sont des sols argilocalcaires
superficiels comme les champagnes, mais rouges et très caillouteux, d'un
calcaire dur du Jurassique.
Les argiles du Pays bas
Dans une zone dépressionnaire au nord de Cognac, appelée « Pays bas », se
trouvent des sols très argileux (jusqu'à 60% d'argile). L’humidité des sols des
« Pays bas » a permis de sauvegarder une petite partie du vignoble cognaçais
lors de la crise du phylloxéra (1875), puisque cet insecte n’aime pas l’eau…
Les sols silico-argileux
Les sols situés au nord-ouest de Cognac sont en majorité des argiles à
silex résultant de la décarbonatation du calcaire. Une grande partie des sols
du vignoble situés en Charente-Maritime est constituée de sols limoneux appelés
« doucins ».
Les sables
On trouve des sols sableux en secteurs côtiers, dans certaines vallées, et
dans toute la partie sud du vignoble. Ce sont là des sables que l'érosion a
apportés du Massif Central. Les vignes y sont assez dispersées, au milieu
d'autres cultures, de prés pour l'élevage, de forêts de pins et de châtaigniers.
Je n’ai pas pu trouver une carte géologique spécifique par
cru.
En 2014, le Bnic (http://www.cognac.fr/cognac/_fr/4_pro/index.aspx?page=vignoble
) a édité le tableau suivant concernant la place du vignoble par cru dans
l’agriculture de la Région Délimitée du Cognac :
Le vignoble comprend 75.973 ha dédiés aux cépages blancs
donnant droit à l’AOC Cognac. Donc quelques 4.000 hectares sont destinés à des
cépages qui ne rentrent pas dans la production du cognac.
Toujours selon le BNIC (http://www.cognac.fr/cognac/_fr/4_pro/index.aspx?page=recolte
), la récolte des vins blancs cognac a été répartie selon les crus dans les
proportions suivantes :
En mettant en relation ces deux graphiques, on peut
constater un certain nombre de particularités :
- Les « fins bois » produisent la plus grande quantité de vins blancs cognac et y consacrent dans l’absolu la surface la plus élevée, tout en ayant un taux de viticolité faible : 85 % de sa surface agricole sont consacrés à d’autres productions que la celles de la viticulture.
- La production viticole est négligeable dans les crus « Bons Bois » et « Bois ordinaires ». C’est probablement dû au fait que ces deux territoires ne sont pas à l’origine des meilleurs cognacs.
- Les « Borderies » ont le taux de viticolité le plus élevé, mais c’est le territoire le plus petit en surface agricole. Ce cru produit peu de vins blancs cognac en quantité absolue.
- La « Grande Champagne » a un taux de viticolité ayant presque le double de la « Petite Champagne », mais son territoire fait seulement la moitié de celui de la « Petite Champagne ». Cette dernière utilise 2/3 de son territoire pour d’autres productions agricoles que la viticulture des vignes blancs cognac.
L’AOC cognac fait état d’un certain nombre de facteurs naturels concernant la notion
« Lien à l’origine ».
Les crus produisent des cognacs bien différents selon leurs
caractéristiques. Les sols y sont
certainement pour quelque chose (car étant à la base de la définition des crus),
au même titre que le climat que le
cahier de charges décrit comme suit : « Le climat océanique tempéré y est
assez homogène, à l’exception des régions côtières, plus ensoleillées et à la
moindre amplitude des températures. Du fait de la proximité de l’océan, même si
elles sont plus abondantes l’hiver, les pluies peuvent intervenir à tout moment
de l’année. De ce fait, les sécheresses sont
rares, permettant une alimentation hydrique régulière de la vigne. La
température moyenne annuelle est de 13 °C environ, avec des hivers assez doux.
Les températures sont suffisantes pour assurer une bonne maturité du raisin,
mais pas excessives pour ne pas le brûler. »
Mais les crus induisent aussi des vieillissements
différents (article « élaboration…). En ce qui concerne le vieillissement,
les eaux-de-vie issues la Grande Champagne et la Petite Champagne ont une maturation lente. Celles
des Borderies et Fins Bois ont une maturation plus rapide que celles de la Grande Champagne et de la Petite Champagne. Enfin, les eaux-de-vie issues des
Bons Bois et des Bois ordinaires connaissent une maturation rapide.
Nous reprenons ci-après en partie des textes de l’article
« arômes et saveurs …. » concernant les caractéristiques des cognacs
en fonction des crus :
Si les commentaires des sources se recoupent en grande
partie, la terminologie peut cependant fortement varier. Aussi ai-je essayé de trouver les
formulations de 3 spécialistes en la matière. À vous de juger ce que vous
pouvez en tirer.
Grande Champagne
Selon le BNIC :
« donne des eaux-de-vie très fines et très légères, au bouquet à dominante
florale, »
Véronique Lemoine (« les
arômes du Cognac », édition Féret) : « des eaux-de-vie très
montantes, c’est-à-dire pointues en dégustation, très fines, mais du coup
souvent austères et qui paraissent sèches. Des parfums délicats de tilleul, de
fleur de vigne, de sarments, de poires …. »
Chantal Martell (site
www.le-cognac.com ) : « donne naissance à des
eaux-de-vie réputées et raffinées, très fines et légères, au bouquet à
dominante florale. Elles demandent un long vieillissement en fûts, pour atteindre
leur maturité au terme de plusieurs dizaines d'années.
Remarque : Les notions de « Grande
Champagne » et de « Petite Champagne » risquent peut-être de
rendre certains un peu confus. On peut se demander en effet qu’est-ce que l’AOC
Champagne (vins effervescents) a à voir avec les 2 Champagnes de l’AOC Cognac. L’origine
du mot « Champagne » dérive de l’ancien mot « champaigne »
qui signifiait plaine, terrain plat, sans bois. D’où aussi le terme de AOC
Champagne pour les vins effervescents du terroir se trouvant dans les
départements Marne, Aube, Aisne, Seine-et-Marne et
finalement Vallée de la Marne. Les « Champagnes » des
« cognacs » et le territoire AOC Champagne ont d’ailleurs des sols assez
similaires du point de vue géologique. Signalons encore que le vieux mot
« champaigne » est aussi à l’origine de la notion actuelle de « campagne »,
utilisée de manière très diversifiée.
Petite Champagne
Selon le BNIC :
« des eaux-de-vie présentant sensiblement les mêmes caractéristiques que
celles de la Grande Champagne, sans toutefois offrir leur extrême
finesse ».
Véronique Lemoine (« les
arômes du Cognac, édition Féret) : « à peu près les mêmes caractéristiques
que celles de la Grande Champagne, mais un montant moins marqué et un potentiel
de garde inférieur. Parfois des senteurs de fruits rouges un peu
vineuses ».
Chantal Martell : « Ses eaux-de-vie se
caractérisent également par des notes florales. Provenant de terres plus
sensibles à l'influence de la mer, elles sont réputées moins fines que celles
de Grande Champagne, parfois à tort. »
Borderies
Selon
le BNIC : «des eaux-de-vie
rondes, bouquetées et douces, caractérisées par un parfum de violette. Elles
ont la réputation d'acquérir leur qualité optimale après une maturation plus
courte que les eaux-de-vie provenant des "Champagne ».
Véronique Lemoine :
« eaux-de-vie plus complexes, moins fines, moins austères que les
Champagnes, mais en montantes, rondes et douces …parfums de fleurs dont la
violette .. elles s’arrondissent plus vite que les Champagnes et peuvent donc
entrer plus dans les assemblages ».
Chantal Martell : « Elles produisent des
eaux-de-vie très recherchées par certaines marques de Cognac: fines, bouquetées
et douces, au léger parfum de violette et au goût de noisette. Elles viennent
enrichir et arrondir d'autres eaux-de-vie, avec lesquelles elles seront « mariées ».
Elles vieillissent plus rapidement que celles de Petite ou de Grande Champagne.
Il leur faut tout de même le temps d'une génération. »
Fins Bois
Selon
le BNIC : «produisent des eaux-de-vie
rondes, souples, vieillissant assez rapidement et dont le bouquet rappelle le
raisin pressé. »
Véronique Lemoine :
«plus gourmandes, moins florales que les borderies, plus rondes, plus fruitées,
… sentent le raisin et le vin jeune …. évoluent plus vite que Champagne et
Borderie ….douces, fruitées, souples …. Elles sont le principal des cognacs à
vendre jeunes (VS et VSOP) »
Chantal Martell :
« Leurs eaux-de-vie, rondes et souples, vieillissent plus rapidement;
leur bouquet rappelle l'odeur du raisin pressé. »
Bons Bois et Bois
ordinaires
Selon le BNIC :
« vieillissent rapidement …. »
Véronique
Lemoine : « moins complexes, fruitées, de peu de longueur et évoluant
vite en barrique ».
Chantal
Martell : Bons Bois ; « Leurs terres, argileuses et
pauvre en calcaire, et l'influence maritime, rendent leurs eaux-de-vie plus
rudes, à l'arôme fruitier. »
Les eaux-de-vie des Bois ordinaires, vieillissant plus vite,
seraient surtout utilisées pour produire le Pineau de Charente.
Je pense que ces considérations ont permis de faire en gros
le tour du contexte des crus du cognac.
Les commentaires, rectifications, ajoutes ou autres
propositions sont les bienvenus (prière d’utiliser l’outil
« commentaires » de l’article).
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